Le point sur l'Art Scénaristique

Vous avez relevé les Défis Fantastiques, vécu les aventures de Loup Solitaire, entrepris la Quête du Graal et suivi la Voie du Tigre – et vous avez toujours rêvé d’écrire votre propre livre dont vous êtes le héros ? N’hésitez plus. En tant qu’auteur de nombreux livres-jeux amateurs, je me propose de vous livrer ma méthode. Évidemment, comme pour l’écriture d’un roman, tout commence avec un moment d’inspiration, suivi d’une période de réflexion. Il faut créer plusieurs aspects préliminaires du jeu : l’intrigue, oui, mais aussi l’univers dans lequel cette intrigue se tramera, ainsi que les personnages qui y seront impliqués. À toutes ces phases classiques du processus d’écriture, vient s’ajouter un dernier point spécifique aux LDVELH : les règles de l’aventure.

Puisque tout ceci doit se faire avant d’écrire le premier paragraphe, ou même l’introduction, les projets amateurs trop ambitieux meurent souvent dans l’œuf. Pour se faciliter la tâche, la plupart des auteurs de livres-jeux amateurs situent leurs aventures dans un monde établi, tel Titan (de la série Défis Fantastiques) ou Magnamund (de la série Loup Solitaire). Ils emploient en même temps les règles déjà associées à cet univers, ce qui leur permet de passer immédiatement à la conception de leur aventure proprement dite. Cette aventure devient alors un hommage à une série existante, dont elle reprend tous les éléments distinctifs.

C’est pourquoi un grand nombre d’aventures d’amateurs sur Internet se définissent comme une suite à un livre populaire, ou même comme une « préquelle » : une histoire se déroulant chronologiquement avant une autre.

Si vous choisissez cette voie, vous connaissez probablement déjà la série sur laquelle vous allez vous baser. Mais il est également possible que vous souhaitiez faire le grand saut : construire votre propre système de règles, votre propre monde, vos propres personnages.

C’est la voie que j’ai choisie lorsque j’ai commencé à écrire des LDVELH, car je voulais que l’œuvre m’appartienne entièrement. Dans cette rubrique, tel que promis, je vais m’étendre sur la création de l’aventure elle-même. Comment, me direz-vous, jongle-t-on avec tous ces paragraphes ? Ce qui suit représente ma réponse à cette question.

Presque tous les livres-jeux ont une structure fondamentale en commun. Le héros, quel que soit son but, doit partir d’un point et en atteindre un autre. Ce constat peut paraître trop basique pour être pertinent, mais il vous dicte la première étape logique de votre projet : la carte.

Etape 1 : remuez vos méninges

Etape 2 : dessinez une carte

Ces deux étapes vont de pair et peuvent s’appuyer l’une sur l’autre.

Dans le cas d’un LDVELH, le remue-méninges sert à dresser une liste de tous les éléments de jeu que vous désirez incorporer dans l’aventure : monstres, ennemis, obstacles, objets (où les trouver, mais aussi où s’en servir), lieux à visiter, rencontres, pièges, etc. Vous devez évidemment vous fier sur l’intrigue que vous avez choisie afin d’éviter les non-sens. On ne trouve normalement pas une potion magique dans une aventure contemporaine, ni un robot tueur dans une aventure médiévale fantastique.

Dessinez ensuite la carte approximative de l’aventure. Indiquez le point de départ et le but du héros. Tracez ensuite tous les chemins que vous désirez, incluant ceux qui ne mèneront nulle part ou qui obligeront le héros à rebrousser chemin. Il est possible que les lieux à visiter et les voies qui les relient soient déterminés par les besoins de l’intrigue (comme c’est souvent le cas dans la série Loup Solitaire). Il est également possible que vous ayez une liberté totale en la matière (si vous écrivez une aventure du type classique personnifié par Le Labyrinthe de la Mort).

À mesure que vous dressez la carte, désignez les points où seront trouvés les objets importants, où seront rencontrés les personnages importants, où seront situés les pièges, où seront tapis les monstres, etc. Essayez d’équilibrer les voies possibles. Si votre aventure est au format one-true-path (une seule voie victorieuse), assurez-vous qu’il existe un chemin qui relie tous les indices et les objets nécessaires, et que l’accès à ce chemin ne soit pas malencontreusement interdit par une ou plusieurs conditions contradictoires ou mal réfléchies.

 

Si votre aventure emploie un système de règles qui propose un choix de compétences, les étapes combinées de la carte et du remue-méninges servent également à répartir dans l’aventure les situations où les différentes compétences entrent en jeu. Si vous remarquez que l’un des talents proposés n’a presque jamais d’utilité, songez à le retirer des règles ou à créer des situations qui lui sont spécifiquement adaptées.

Etape 3 : créez une grille de paragraphes

À ce point-ci, vous devez choisir le moyen d’écriture. Vous pouvez employer la bonne vieille méthode papier-crayon, mais vous ferez face, éventuellement, à la tâche peu motivante de taper le résultat. Mieux vaut sans doute produire l’aventure directement à l’ordinateur. Pour cela, vous avez le choix entre un logiciel de traitement de texte, comme Word, et un logiciel spécialement conçu pour écrire des livres-jeux, comme Advelh. Ce dernier vous permet d’éviter de vous compliquer la vie en automatisant les étapes 3 et 4. Je ne saurai donc trop vous conseiller de l’utiliser.

Mais si vous choisissez tout de même Word, vous aurez besoin de produire une grille semblable à celle qui suit. Les chiffres représentent évidemment les paragraphes de votre aventure. Combien en prévoir, me demanderez-vous ? C’est la question la plus difficile à laquelle répondre. Si vous n’avez jamais écrit un livre-jeu, votre première estimation risque d’être loin du résultat final. Pour esquiver le problème, vous pouvez vous fixer un chiffre fétiche – comme pour les Défis Fantastiques (400) ou les aventures de Loup Solitaire (350) – et ensuite allonger l’aventure jusqu’à ce que votre cible soit atteinte. Autrement, vous devez réfléchir attentivement au nombre de choix que vous proposerez dans une situation moyenne. Multipliez ensuite ce chiffre par le nombre de rencontres que vous avez désignées sur la carte. Ajoutez 50 à 100 paragraphes pour les options imprévues et le combat final, qui offre souvent plus de possibilités au héros. Si vous savez que vous succombez facilement à la logorrhée, ajoutez encore 100 paragraphes.

Etape 4 : écrivez en traçant des arbres

Le temps est venu de vous lancer dans la rédaction. Commencez évidemment par le paragraphe 1 de votre aventure. À la fin d’un paragraphe, choisissez les numéros qui suivront les instructions « rendez-vous au… » et encerclez-les dans la grille. Biffez ensuite le paragraphe que vous venez de terminer. Ainsi, en observant les numéros déjà encerclés ou biffés, vous ne commettrez jamais l’erreur de réserver un paragraphe plus d’une fois.

Tout en écrivant, songez à faire deux choses importantes. Premièrement, reportez sur la carte les numéros de paragraphe qui correspondent aux intersections principales. Ainsi, si vous prenez une pause et souhaitez ensuite revenir sur un chemin donné, vous retrouverez le point correspondant dans votre aventure sans avoir à tout relire. Deuxièmement, tracez des arbres sur une feuille à part. Ces graphes vous permettront de visualiser la structure de votre aventure et de connaître au premier coup d’oeil les branches que vous n’avez pas encore écrites.

Vous pouvez choisir des signes spécifiques pour les paragraphes de fin d’aventure (ici le 29) et ceux qui contiennent un combat, une trouvaille ou un indice essentiel. Ce sont toutes, évidemment, des pratiques facultatives.

Lorsque vous aurez presque fini, il faudra que vous portiez une attention particulière au nombre de paragraphes restants. Si vous pressentez que le boss fight (combat final) consumera beaucoup de paragraphes, écrivez-le avant de faire les branches moins importantes de l’aventure, notamment celles où aucun objet crucial n’est trouvé. Aussi, si vous réalisez que votre aventure dépassera le nombre prévu de paragraphes, ajoutez-en à la grille pendant qu’il vous reste une certaine marge de manœuvre. Autrement, le lecteur lira « rendez-vous au 405 » et « rendez-vous au 408 » à partir du paragraphe 402 — et saura que vous avez ajouté ces paragraphes à la dernière minute.

Etape 5 : jouez à votre propre aventure

Il est très facile de tomber dans ce piège. Vous avez complété votre œuvre et vous avez hâte de la rendre disponible, mais vous n’avez pas songé à jouer selon les règles que vous avez spécifiées. En conséquence, votre aventure est beaucoup trop facile… ou difficile.

Lorsque vous jouez votre propre livre-jeu, incarnez le personnage théorique le plus faible. C’est la meilleure façon de remarquer les endroits où vous avez pris pour acquis que le héros serait au maximum de son Habileté ou de son Endurance. Ensuite, jouez strictement selon les règles. Si vous êtes malchanceux aux dés, subissez-en les conséquences. De cette façon, vous pouvez vous assurer que le lecteur ne sera pas forcé de tricher pour gagner. D’expérience, je peux garantir que vous aurez besoin de décroître la puissance des ennemis, ou d’ajouter des alternatives fairplay pour les joueurs faibles.

 

© Martin Charbonneau (The Oiseau), article originalement paru dans La Feuille d'Aventure n°4.

 

 

 

 

 

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Commentaires

Portrait de Ylémort le Nécromancien

Décidément les conseils sur littéractionsont d'une qualité inéstimable.

Bravo pour cet intéressant article, bien que certaines de ces techniques me soient venus toute seule avant. Si tout ça n'a pas servi àde nombreuses personnes déjà, que je soisp... no je ne vais pas risquer ma vie non plus!

Merci, merci, merci, merci.... :)

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