20 ans de Yaz' – Origines et évolution
Cet article fait partie d'un corpus informel de textes rétrospectifs rédigés à l'occasion du cinquième de siècle des Yaz'. D'autres sont à découvrir dans Alko Venturus n°4.
Le prix Yaztromo va fêter ses vingt ans.
Deux décennies, ça représente déjà un sacré paquet d’années. Pas tout à fait une génération complète, mais on s’en rapproche. Impossible cependant d’arranger ce chiffre pour le grimer en un 18 ou un 25 à la symbolique plus dynamique tant le Yaz’ est un produit de son époque et n’aurait pu naître ni plus tôt ni plus tard.
La préhistoire numérique
Je ne vous refais pas l’histoire des livres-jeux, d’autres s’en chargeront très bien. Pour schématiser à l’extrême, les Livres dont vous êtes le héros ont fait le buzz dans les années 80, se sont étiolés dans les 90, effacés dans les 00, avant de revenir, pas autant au premier plan qu’ils ont pu l’être mais quand même bien présents, dans les 10 et les 20.
L’histoire plus spécifique du prix Yaztromo commence quant à elle au plus profond de ce creux, à l’aube des années 2000. Le genre n’est alors plus représenté en neuf et en francophonie que par quelques rééditions d’une poignée des plus connus des Défis Fantastiques et des Loup Solitaire, ainsi que par quelques incongruités dont la logique marketing m’échappe encore à ce jour, telle une réimpression des Dragon d’Or dont j’ignorerais tout si le hasard ne m’avait pas fait découvrir par leur entremise ce format littéraire si spécial.
Il n’y aurait donc pas eu grand-chose à raconter si à ce moment-là ne s’était pas également produit un événement majeur, qui a changé le cours du monde et continue de le façonner encore aujourd’hui : l’explosion d’Internet.
Même si le phénomène a débuté bien plus tôt, c’est vraiment à partir du tournant du millénaire que tout le monde, où qu’il se trouve physiquement, est connecté par la toile.
Enfin, disons que la majorité des Français y ont accès. En 56k. Et la barrière de la langue n’a pas du tout disparu. Un universalisme très relatif donc. Mais ce ne sera qu’une des nombreuses simplifications que s’autorisera ce pourtant déjà bien long laïus.
Toujours est-il que cette avancée technologique s’est réellement démocratisée, dépassant le stade de l’outil de travail ou du gadget pour technophiles pour toucher une large population dans son quotidien. Tout un chacun peut désormais contribuer à cet univers virtuel plutôt que de simplement le regarder de loin avec méfiance.
De nouveaux outils techniques plus accessibles pour qui ne manie pas les lignes de code commencent ainsi à poindre, jetant les bases du web 2.0. Il suffit désormais de quelques clics pour créer qui son site, qui son blog, qui son forum. Des entités avec lesquelles les visiteurs peuvent à leur tour interagir autrement qu’en laissant un message unique dans un livre d’or désincarné. Oui, même les commentaires et les chaînes de réponses, c’était tout neuf alors.
Et personne ne sait trop quoi faire de tout ça. Non, vraiment. Cela peut paraître bizarre maintenant que beaucoup d’usages sont devenus des réflexes bien ancrés. Mais à l’époque, le net, c’est encore terra incognita. Aussi bien d'ailleurs pour le tout venant que pour les entreprises qui le domineront un jour. Même quelque chose d’aussi basique que de chercher une information sur Google, ce n’était pas encore un acquis.
Tout le monde, grand comme petit, essaye alors des trucs au petit bonheur la chance, et il n’y a souvent pas grande corrélation entre ce qui avait été pensé pour devenir l’avenir et ce qui le sera réellement. L’exemple typique, ce sont les faux jumeaux Nupedia et Wikipédia. Un exemple moins connu du grand public mais critique pour notre histoire, ce sera gamebook.free.fr
Le premier havre
gamebook.free.fr était un site, au contenu plutôt pauvre, même pour l’époque, créé avant tout parce que il était alors à la mode chez les hébergeurs de confier un petit pré carré à chaque internaute et que ça aurait été du gaspillage de ne pas l’utiliser. Il connaîtra cependant un succès inespéré, sur la base d’une idée géniale : celle de se doter d’un de ces (alors) nouveaux forums utilisables par n’importe qui, par opposition à des services comme IRC.
Et là le miracle d’Internet se produit. Débarquent soudain de tous horizons des francophones désireux d’échanger à propos des livres-jeux, et qui n’avaient jusqu’ici aucun espace dédié à cela. Oui, c’est vraiment un début ex nihilo, on ne peut pas remonter plus tôt, parce qu’avant il n’y avait que le néant.
Et maintenant laissez-moi vous conter la légende de ce qui est arrivé dans ce petit îlot isolé de l’Internet primitif. Légende, et non histoire au sens scientifique du terme, car je vais me baser presque uniquement sur la très peu fiable mémoire humaine, la mienne et celle des autres, les archives d’alors ayant été perdues à l’exception de quelques pages préservées par la Wayback Machine.
Les débuts du forum gamebook sont teintés d’émerveillement. C’est encore tout nouveau d’avoir une passion de niche, au point que personne de notre entourage physique ne la partage, et de découvrir soudain qu’il y a des tas d’autres personnes autant sinon plus dingues que nous de la même chose, et de pouvoir échanger avec elles de manière informelle et régulière.
Bon, ça ne veut pas dire non plus que tous les échanges étaient toujours très construits ni très intéressants. Si on retrouvait les messages d’alors, je pense qu’il y aurait classiquement une majorité de discussions de bistrots n’allant nulle part, et même certaines ayant très mal vieilli.
Mais subsistait quand même une volonté marquée de creuser le sujet des livres-jeux au-delà d’un simple thème de soirée alcoolisé. Ça ressort les vieux bouquins, ça les lit avec un regard neuf, ça les décortique, ça les analyse, ça les corrige. La part belle est faite aux critiques, aux erratas, aux soluces. Un travail en partie accompli, encouragé, et préservé par la Bibliothèque des Aventuriers.
En ces débuts, l’accent est plus mis sur la découverte de pépites oubliées que sur le fait de tailler de nouvelles gemmes. Ainsi, quand Oiseau lance le premier prix Yaztromo en 2004, c’est presque pour la blague.
Écritures rupestres
Il n'y a, si je me souviens bien, que quatre aventures en lice pour cette édition, dont deux de la plume d'Oiseau lui-même. Elles sont départagées par un simple sondage en fin d’année, sans grande méthode. La création amateure francophone est encore balbutiante, se résumant grossièrement, en dehors d’Ap Bac et de Xhoromag, à l’écriture d’œuvres très inspirées de ce qui existe déjà ou à la traduction de tels titres, fanfictions sous influence conçues par des auteurs débutants dont l’intérêt se résume souvent à titiller les souvenirs de l’original.
À ce moment-là, ce qui concentre les énergies, ce serait plutôt la Feuille d’Aventure, plus intégrée aux efforts de valorisation des titres anoblis par l’impression et blasonnés d’un code-barres. Quelqu’un a cependant l’idée géniale, reprise me semble-t-il des antiques magazines de livres-jeux, d’intégrer à chaque numéro une courte histoire ludique.
Et, coup de bol, ou biais statistique du type de personnes qu’attire une communauté de lecteurs acharnés, ce ne sont pas des manches qui se dévouent pour les écrire. Dès le tout premier numéro, en moins de 100 sections, Faery se révèle un meilleur Défis Fantastiques que la plupart des Défis Fantastiques du commerce, démontrant par là que la production « officielle » n’avait fait qu’effleurer le potentiel du genre.
En parallèle se dessine l’idée d’une grande aventure interactive écrite à beaucoup de mains. Parce qu’écrire une histoire de 400 sections à 20 paraissait alors plus simple que d’en écrire une de 100 en solitaire. Après tout, cela revient, par une simple logique mathématique, à ce que chacun rédige une micro-avh de 15 à 25 sections. Rien de plus simple donc. Non ?
Ne rigolez pas, c’était le genre de folie courante dans l’euphorie de l’Internet de l’époque.
Par quelque miracle, et beaucoup de travail de la part de son équipe gouvernante, ce projet arrivera néanmoins à terme, sous la forme du Marais 2. Et sera le premier pied à l’étrier de plusieurs futurs auteurs d’avh. Dont moi en fait, maintenant que j’y pense.
Enfin, malgré son semi-échec de 2004, le suscité Martin « Oiseau » Charbonneau ne s’était pas découragé et continuait son lobbying intensif en faveur des avh, notamment en prenant sur lui une partie de la charge des rébarbatives tâches techniques. Il continue de faire évoluer son logiciel facilitant leur rédaction (Advelh), les héberge sur son site, pousse parfois jusqu’à effectuer lui-même leur mise en page, bref, c’est le roc sur lequel s’appuient des auteurs de bonne volonté mais parfois très désorganisés.
Note : j’essaye de limiter les digressions donc je ne vais pas m’étendre plus avant à propos de Oiseau. Mais il y aurait clairement beaucoup d’autres choses à dire sur l’homme aux cent avh, et d’ailleurs inventeur du terme, et de son influence encore prégnante aujourd’hui sur la façon de concevoir les livres-jeux, notamment en terme d’équilibrage et de liberté d’action.
La somme de tous ces efforts paie : les gens se mettent à écrire des livres-jeux. Et, pour reprendre une citation connue, au travail, le plus difficile, c'est d'allumer la petite lampe du cerveau ; après, ça brûle tout seul.
La création de la tradition
La machine était désormais lancée. Bien lancée même, puisque dès 2005, l’essentiel de la structure du Yaz’ était déjà en place. Avec même les premiers carambolages de fin d’année, quand les gens se pressent de boucler leur texte à temps pour concourir à l’édition courante plutôt qu’attendre jusqu’à la suivante.
Là, je vais brutalement sauter une bonne demi-douzaine d’années, durant lesquelles il va y avoir beaucoup de perfectionnement, mais assez peu de bouleversements. Un laps de temps conséquent où, tandis que les autres projets nés de la même effervescence se meurent, un rythme solide s’établit autour du Yaz’, avec des aventures continuant d’apparaître régulièrement, et étant abondamment discutées durant la période de votes.
Oui, s’il y a un truc qu’on ne peut pas reprocher à ce qui est devenu entre-temps Rendez-vous au 1, c’est d’ignorer les œuvres en compétition ou de se contenter d’acquiescer leur existence d’un pouce en l’air. Dès le départ, et encore aujourd’hui, les gens s’efforcent de faire des retours constructifs, couvrant à la fois l’histoire et le jeu. Et c’est peut-être bien là d’ailleurs qu’il faut chercher la raison de la pérennité de ce concours, une telle implication des lecteurs étant rare et précieuse, encore plus pour des titres n’ayant pas pignon sur rue.
Bref, le navire est à flots. Navigue à une vitesse de croisière correcte. Mais c’est vrai que ça manque peut-être d’accélération. Assez vite, la communauté s’est inquiétée d’une certaine stagnation en terme de nombre de participations par an, sans vraiment y trouver de solution.
Un nouveau monde
Les choses changent à partir de 2012, un temps désormais assez proche pour que les archives des conversations aient été préservées. Cette année-là, outre la création de Littéraction pour régler divers soucis techniques en suspens quant à l’hébergement et l’accessibilité des aventures, un peu à la manière d’un AO3 très spécialisé, est lancée l’idée d’un second concours parallèle au Yaz’, réservé aux aventures de 50 sections et moins.
Idée qui va tout de suite prendre, révélant une nouvelle génération d’auteurs. Bon, il y aura bien évidemment des ajustements d’ordre administratif, sur le temps alloué à l’écriture et aux votes par exemple. Mais dès la première édition, les bases sont là et c’est un succès indéniable. Peut-être parce que répondant à un besoin sous-jacent et ayant pu s’appuyer sur toute l’architecture déjà mise en place pour le « grand » Yaz’.
2012 cependant, ce n’est pas que le mini Yaz’. C’est aussi l’année où Makaka publie sa première BD dont vous êtes le héros et où la réédition fortement retravaillée de Sherlock Holmes : Détective Conseil remporte un As d’Or, excusez du peu.
Et oui. Pendant que les gens écrivaient leurs petites avh dans leur coin, le monde lui n’a pas arrêté de tourner. Dans le sillage de l’explosion des jeux de société, les livres-jeux étaient revenus sur le marché.
Ça, faut l’avouer, on l’avait pas vu venir. Même si le coche sera plutôt vite rattrapé, notamment par la superstar Emmanuel « Fitz » « Manuro » Quaireau, va quand même s’ouvrir une période confuse où ça court dans tous les sens pour essayer de raccrocher les wagons.
Pendant un temps, ce ne sera qu’imparfaitement réussi, le Yaz’ continuant de persister seul dans son petit coin de l’Internet, totalement déconnecté du marché du livre-jeu francophone. Si quelques auteurs avaient alors un pied dans les deux mondes, c’était par le biais de textes totalement distincts, chacun cantonné à son propre circuit.
Une parenthèse confuse, dans laquelle il faut peut-être chercher l’explication d’une baisse du nombre de participations aux deux concours Yaz’ aux alentours de ces années-là. Ou peut-être n’est-ce là qu’une explication trop simple, partielle ou complètement erronée, d’une situation elle avérée.
Présent et futur
La donne change de nouveau à partir de… alors, la chronologie est compliquée, car ce ne sont pas des initiatives sortant de nulle part, et d’autres que moi maîtrisant mieux le sujet pourront détailler plus avant. Pour simplifier, retenons l’année 2017, avec les premières sorties papier des éditeurs associatifs spécialisés Alkonost et Posidonia.
Et c’est à partir de là seulement que le Yaz’ réintègre l’écosystème dont il est issu, qu’une porosité réelle s’établit entre le palmarès et les titres qu’on pourra retrouver par la suite dans les boutiques de jeux.
Une évolution avec le recul somme toute logique. On l’a vu, le Yaz’ est né en réponse à un contexte très particulier, celui d’une période de grave disette biblioludique. Il est aussi enfant de son époque, de ses limites technologiques et socio-économiques. Pour donner un exemple très concret, les plateformes de financement participatif n’existaient alors tout simplement pas.
La donne ayant complètement changé, il est naturel que le Yaz’ s’adapte plutôt que devenir une simple relique d’un âge farouche bientôt oublié.
Et d’ailleurs il n’a jamais vraiment cessé de muter. Sans que ce soit jamais explicite dans aucun règlement, si on ouvre des fichiers au hasard des éditions d’il y a cinq ans, dix ans, quinze ans, la différence saute aux yeux, et je ne parle pas que de mise en page : le style s’est affermi, les règles ont évolué vers plus de clarté et d’efficacité, la diversité des thèmes explorés a explosé.
De façon très schématique, on s’est de plus en plus éloigné d’un esprit de fanfiction, c’est-à-dire d’une œuvre nécessitant de connaître une autre œuvre et ses codes pour être pleinement appréciée, pour aller vers des titres complets à destination d’un plus large public.
Bref, même si certaines évolutions ont pris du temps, ça n’a jamais été un concours statique. Aussi ne vais-je pas m’avancer sur de quoi l’avenir sera fait. Avec un peu de chance, d’un maximum de bonnes surprises.
Commentaires
Caïthness
mer, 13/03/2024 - 06:51
Permalien
Bien bel Article
"Oiseau lance le premier prix Yaztromo en 2004, c’est presque pour la blague."
Le truc c'est que déjà à ce moment, il en avait déjà écrit une bonne cinquantaine, non ?
"Et sera le premier pied à l’étrier de plusieurs futurs auteurs d’avh. Dont moi en fait, maintenant que j’y pense."
chui tout émouvé...
"le suscité Martin « Oiseau » Charbonneau ne s’était pas découragé et continuait son lobbying intensif en faveur des avh"
Son forum est toujours en ligne d'ailleurs : https://xhoromag.forumactif.com/
Ajouter un commentaire