Histoire des livres-jeux
Les précurseurs : origines de la littérature interactive
Contrairement à une idée bien ancrée dans l'esprit de nombreux amateurs du genre, Steve Jackson et Ian Livingstone ne sont pas les inventeurs de la littérature intéractive. The Warlock of Firetop Moutain paru en 1982 (Le Sorcier de la Montagne de Feu, 1983), est simplement le premier livre dont vous êtes le héros traditionnel, c'est-à-dire le mélange d'une histoire à embranchement et d'un système de jeu inspiré des Jeux de Rôle. Mais le concept du livre-jeu, autrement dit du livre intéractif, est bien antérieur à ces deux auteurs.
En fait, le précurseur dans ce domaine n'est autre qu'un auteur et poète français célèbre, à savoir Raymond Queneau. En 1967, il écrit Un conte à votre façon, qui ne sera publié qu'en 1981 dans le recueil Contes et propos. Ce conte relate les aventures de trois petits pois et c'est au lecteur de choisir les actions de ces minuscules héros ! Bien sûr, ce n'est guère plus qu'une expérience : le conte ne contient que 21 paragraphes, pour la plupart sommaires et il n'y a pas de règles ni de difficulté particulière. Cependant Queneau, sans le savoir, pose les premières bases de la littéraction, genre dont il ne connaîtra pas l'apogée puisqu'il décède en 1976.
Mais le véritable pionnier du livre-jeu est plutôt à chercher de l'autre côté de la manche : Edward Packard, diplômé de Princeton, essayiste et poète, a l'idée d'écrire des livres à la seconde personne en racontant des histoires à ses enfants afin qu'ils s'endorment. En 1969, il écrit Sugarcan Island, qui sera publié pour la première fois par Vermont Crossroads Press en 1976. Ce livre deviendra le premier d'une nouvelle série intitulée The Adventures of You qui ne contera cependant que deux aventures. Il sera ensuite révisé et republié en 1986, au sein de la série Choose your own Adventure ; série dont Packard signe d'ailleurs le premier tome The Cave Of Time en 1979. Connue en français sous le titre Choisis ta propre aventure (éditions Pélican) elle deviendra la plus longue série de livres-jeux jamais crée ; entre 1978 et 1988, pas moins de 184 tomes seront publiés, dont seulement 24 en français entre 1986 et 1992.
La même année qu'est publié le premier titre d'Edward Packard, Tunnels & Trolls, principal concurrent de Donjons & Dragons à l'époque, est le premier jeu de rôles à proposer des aventures en solo sur base de son univers. Rick Loomis ouvre le bal avec Buffalo Castel (Le château du buffle, 1984), récit qui se présente en 150 paragraphes répartis sur une trentaine de pages. Tunnels Trolls poursuivra sa série d'aventures en solo jusqu'en 1993, ayant à son actif quelque 24 tomes. Et dès 1979, Ken St. Andre, le concepteur de ce jeu de rôles, lance lui-même la série des Pocket Adventures intégrant seulement trois tomes.
Puisque l'on en est aux surprises, nous continuerons dans cette voie. Maintenant que vous savez que Steve Jackson n'a pas écrit le premier livre-jeu (du moins ceux qui ne le savaient pas déjà), vous ne serez sans doute plus surpris d'apprendre que The Warlock of Firetop Mountain n'est pas le seul livre-jeu paru en 1982. En effet, ce dernier est très exactement paru le 27 août 1982, et il est précédé de très près par le premier tome de la série Endless Quest publié en juin de la même année par TSR, aux Etats-Unis. Traduite en français chez Solar sous l'appellation Les Quêtes sans fin dès 1984, cette série de livres interactifs ne propose cependant pas du tout le même système que les ouvrages de Steve Jackson ou ceux d'Edward Packard. Le premier tome, Dungeon of Dread (Le Donjon de l'Effroi), rédigé par Rose Estes, annonce la couleur : il n'y a pas de règles, le découpage n'est pas effectué en paragraphes, mais les issues des différentes parties de l'histoire (relativement longues) renvoient à des pages du livre. Principalement inspirée de l'univers de Dungeons & Dragons, la série proposera quelques thèmes alternatifs, comme celui du cimmérien Conan ou du sauvage Tarzan. En revanche, la série des Super Endless Quest adjointe ultérieurement aux Advanced Dungeons and Dragons Adventure Gamebooks (Donjons & Dragons – Niveau Avancé) qui suivit en 1985, fut directement inspirée de la « méthode paragraphe » et proposa des règles de jeu spécifiques.
Quatrième surprise ? Accrochez-vous. Le premier livre de la série Which Way, en janvier 1982 : The Castle of no Return. Il en va de même pour les trois tomes qui suivirent, en considérant que le quatrième parut en mars de cette année significative. Ces ouvrages collectifs ne dépassaient pas alors les 136 pages et ne devaient pas être extrêmement relevés pour un lecteur amateur des livres-jeux qui auront suivi plus tard grâce à Steve Jackson et Ian Livingstone. Une chose est sûre, entre 1976 et 1982, d'autres livres proposant des aventures interactives solitaires ont dû voir le jour et nous passent aujourd'hui sous le nez faute de réédition. Cependant, le jeu de rôles solitaire n'aura acquis ses lettres de noblesse qu'à partir de 1982.
1982 : popularisation et succès du genre
Le premier livre dont vous êtes le héros traditionnel est précédé d'une précieuse petite biographie en hommage aux deux créateurs du concept. Steve Jackson, biologiste et psychologue de l'Université de Keele, et Ian Livingstone, spécialiste en marketing diplômé de Stockport, se connaissent depuis le lycée. Passionnés par les jeux, entre autres par les Wargames américains, ils fondent à Londres en 1974 la société GAMES WORKSHOP, quittant définitivement toute autre activité professionnelle. Cette société est aujourd'hui essentiellement connue pour ses jeux de figurines : Warhammer, et son adaptation futuriste : Warhammer 40.000, ainsi que Lord of the Rings (Le Seigneur des Anneaux), inspiré directement de l'univers de Tolkien (1892-1973) dont le très célèbre roman parut aux Etats-Unis en 1966. À cette époque, le tout premier jeu de rôles, Dungeons & Dragons, conçu, entre autres, par les américains Gary Gygax et Dave Arneson, connut un certain succès dès sa publication en 1974. L'heroic fantasy (ou médiéval fantastique) entame alors son essor. D'autres jeux de rôles inspirés aussi par l'heroic fantasy verront le jour : Tunnels et Trolls (1975), Runequest (1978), etc.
C'est en 1982, année décisive, que Steve Jackson et Ian Livingstone publient, aux éditions Penguin Books, The Warlock of Firetop Mountain (initialement intitulé The Magic Quest), richement illustré par Russ Nicholson. Un livre pas comme les autres ! Il sera traduit en français pour Gallimard, par Camille Fabien, dès 1983, sous ce titre bien connu : Le Sorcier de la Montagne de Feu. En effet, il suffit au lecteur de feuilleter l'ouvrage pour se rendre compte que le livre est divisé en paragraphes numérotés. Quelle étrange chose ! À la première lecture évasive de certains passages, il s'aperçoit aussitôt qu'on le vouvoie… Voilà bien plus insolite encore. Mais quel est donc ce livre ? Le lecteur avisé qui aura commencé par lire l'avertissement, situé tout au début, aura compris qu'il ne s'agit nullement d'un livre passif où l'on nous raconte une histoire avec un début et une fin déterminés par son auteur, mais bien qu'il tient entre ses mains, tremblantes d'émotion, un livre où LUI seul décidera de l'aventure. C'est d'ailleurs pour cela qu'il se nomme : Un livre dont vous êtes le héros. La rumeur court selon laquelle un sorcier garderait dans sa montagne un fabuleux trésor qui « serait enfermé dans un coffre somptueux doté de deux serrures dont les clés sont gardées par diverses créatures à l'intérieur des souterrains. »
Avatar des jeux de rôles américains, le livre dont vous êtes le héros propose un système différent prévu pour le jeu en solitaire, le livre tenant la place du maître de jeu. Nous pouvons également appeler cela du jeu de rôles solitaire. Le système passe pour unique en son genre, le premier livre de Steve Jackson et Ian Livingstone, ainsi que ses nombreuses traductions, remportent un énorme succès. D'autres livres suivront pour former une série unie par un même fil conducteur, celui du « porte-monstre-trésor », cher à D&D, et que l'on nommera Fighting Fantasy, terme rendu en français par Défis Fantastiques. De nombreux auteurs afflueront pour proposer leurs aventures solitaires et les faire publier sous le sceau des Fighting Fantasy. Et il ne fallut pas attendre beaucoup de temps pour voir apparaître de nouvelles séries aux concepts originaux, le plus souvent issus du genre fantastique.
Années 80 : l'âge d'or des Livres Dont Vous Êtes le Héros
Dès 1983, l'idée de faire évoluer le héros à travers plusieurs aventures prenait naissance grâce à Steve Jackson et sa série Sorcery! (Sorcellerie!). Le système de règles est le même, à la différence que le joueur a le choix entre incarner un guerrier et incarner un magicien. Dans quel cas il dispose d'une liste de sorts, tous nommés en trois lettres, et qu'il doit étudier par coeur. La série se composera au final de quatre livres et restera l'une des meilleures sagas. Il est à noter que l'utilisation de sortilèges par le joueur fut exploitée la même année dans le tome 2 des Fighting Fantasy : The Citadel of Chaos (La Citadelle du Chaos). Très vite, d'autres auteurs, désireux de rendre davantage de crédibilité aux règles, les complexifieront, tout en conservant cet aspect accessible.
Les caractéristiques du personnage, les possibilités de choix, l'intervention du hasard, se diversifieront en même temps que l'originalité des histoires proposées. La plupart des aventures des Défis Fantastiques se déroulent, indépendamment les unes des autres, dans un même univers qui est la planète Titan. Rien à voir avec le satellite de Saturne récemment exploré. Près de 45% des aventures de la série se déroulent au royaume d'Allansia, environ 8% sur le Vieux Monde et 25% sur le Continent Noir, Khul. Les autres se déroulent dans d'autres univers, notamment dans l'espace (science-fiction). Quant à la série Sorcellerie!, elle se déroule dans le Vieux Monde.
Mais d'autres univers, issus de l'imagination de nombreux passionnés, voient le jour.
C'est à Joe Dever, concepteur de Lone Wolf (Loup Solitaire), que l'on doit, en 1984, le premier tome de ce qui sera la plus longue saga de gamebooks jamais conçue. Permettant une progression réelle du personnage, chaque livre achevé correspond à un niveau acquis entraînant le gain de nouvelles capacités, un peu comme dans un jeu de rôles sur table. Nouveauté : le joueur n'a plus besoin de dés, il détermine un tirage à l'aide d'une table de hasard disposée en fin d'ouvrage. Les règles sont tout autres. Le personnage a une identité, vous incarnez Loup Solitaire, un moine guerrier du dieu Kaï évoluant dans le Magnamund et combattant Naar, le dieu maudit. Votre renommée s'accroît au fil des aventures ainsi que vos pouvoirs psychiques et vos compétences d'aventurier. Les aventures sont de plus en plus complexes.
L'idée de contracter des points d'expérience apparaît la même année dans les aventures burlesques de J.H. Brennan, Grail Quest (Quête du Graal), mais sans la notion de niveau. Inspirées de la légende arthurienne, les aventures de Pip (encore une fois le héros est nommé) nanti de son épée, Excalibur Junior, seront parmi les plus appréciées des lecteurs pour leur humour décalé. Le même auteur publie cette année-là le premier tome de son autre série Fire*Wolf (Loup*Ardent), qui raconte les péripéties d'un barbare chassé d'un village pour avoir « péché » avec Aléna, la fille du chef… Nous tairons les influences certaines de l'auteur. L'histoire est divisée en chapitres et se laisse lire un peu comme un roman (sur ses 4 tomes), même si le principe est toujours celui du jeu. L'humour, signature de l'auteur, est cependant moins présent que dans les Quête du Graal. Grâce à ces nouvelles sorties, les consommateurs ont dès lors la possibilité de choisir l'univers dans lequel ils souhaitent évoluer.
D'autres séries verront le jour, le plus souvent composées de quatre tomes jouables indépendamment les uns des autres. Mais certains objets ou certaines informations récoltées dans un numéro peuvent être utiles au joueur dans les numéros qui suivent. Nous n'omettront pas non plus de citer une série culte que nul n'a oubliée : The Golden Dragon (Dragon d'Or), dont le premier livre, écrit par Dave Morris, sort, comme les précédents, en 1984 sous le titre de The Crypt of the Vampire (Le Tombeau du Vampire). La simplicité des aventures le long des 6 tomes sera cependant regrettable.
Nous devons à Mark Smith et Jamie Thomson la conceptualisation, entre 1985 et 1986, de la première série de gamebooks permettant de jouer à deux : A two-player fantasy gamebook. Il s'agit des Duel Master, non traduits en français. Leur système consiste à faire évoluer deux joueurs simultanément au moyen de deux livres différents où chacun incarne un personnage, l'un de type guerrier et l'autre d'essence magique, pouvant se rencontrer dans la même aventure. Ce système sera rapidement exploité par d'autres auteurs, notamment par Andrew Chapman et Martin Allen dans Clash of the Princes (1986-1992), puis par Dave Morris qui travaillera entre 1987 et 1988, avec Oliver Johnson, à la réalisation des aventures en mode multi-joueurs de Blood Sword (L'Épée de Légende) entre 1987 et 1988. La différence est que les joueurs, jusqu'à un maximum de quatre, utilisent le même livre, incluant certains paragraphes collectifs et d'autres pas. Cette série propose aux joueurs le choix entre quatre archétypes : chevalier, prêtre, magicien et voleur, capables de monter de niveau au cours de l'aventure (composée de cinq livres) et donc de voir leurs caractéristiques augmenter grâce aux points d'expérience accumulés comme dans un vrai jeu de rôles. Les combats sont accompagnés d'un plan quadrillé servant à déterminer la position des personnages et de leurs adversaires afin d'en rendre le déroulement plus vivant.
Le système des sagas en multi-joueurs connut également des avatars français en la série Défis et Sortilèges (1988-1992) de Gildas Sagot, où existent quatre premiers livres (donc quatre personnages : une élémentaliste, un ménestrel, un chevalier et un magicien) jouables en même temps, et quatre autres suivants où un seul joueur se voit incarner un groupe de quatre héros aux profils pour le moins particuliers : un paladin, un gnome illusionniste, un barde et un démon. Bien qu'ambitieux, le système exploité dans les quatre premiers tomes se révèle un peu ennuyeux. Dans les quatre premiers, les joueurs parcourent les landes de Dorgan à la recherche d'un objet personnel dont la possession confirmera leur victoire. Ils peuvent s'allier ou se combattre lors de l'aventure.
Bien entendu, il n'aura pas fallu attendre longtemps non plus pour voir surgir d'autres ambiances de jeu que l'heroic fantasy. Très variés dans leurs créations, les deux auteurs Mark Smith et Jamie Thomson, offriront aux lecteurs avides la première série intégralement consacrée à la science-fiction, genre qui se limitait alors à quelques tomes de Fighting Fantasy, noyés dans la masse de l'inspiration médiévale. Il s'agit de la série Falcon (1985-1986), dont seul le premier tome a été traduit en français (série L'Épervier chez Livre de Poche), où l'on incarne en 3033 un agent spécial du TIME voyageant à travers le temps. Vers la même époque, Simon Farell et Jon Sutherland lancent une nouvelle série basée sur des faits historiques, connue chez nous comme la série Histoire. Ces ouvrages étaient toujours accompagnés d'une notice historique.
Parallèlement, une série très originale voit le jour en 1985, mise au point par John Butterfield, Davis Honigmann et Philip Parker, il s'agit des Chroniques Crétoises, où l'on incarne le héros Althéos, prêt à vivre les aventures homériques de la Grèce mythique. Peu de temps après, vers 1986, James Campbell1 publie le premier tome d'une des meilleures séries jamais écrite : Les Messagers du Temps, qui allie histoire et fantastique. Il est intéressant de remarquer que cette série constitue la première tentative de proposer un choix entre un personnage masculin et un personnage féminin (le fils ou la fille de la Reine du Temps). En 1987, c'est au tour du genre policier de se voir consacrer une série : Sherlock Holmes, directement adaptée de l'univers de Conan Doyle, dont le premier tome fut écrit par Gerald Lientz.
Si la grande majorité des Gamebooks anglais furent adaptés en français par les éditions Gallimard, sous le sceau de leur collection Folio Junior où ils aménagent une sous-collection portant l'intitulé évocateur que nous connaissons bien, d'autres livres-jeux parurent chez d'autres éditeurs à la même période. Leur succès attira indéniablement l'apparition de plusieurs avatars vers le milieu des années 80. Parmi ceux-ci, seuls les ouvrages de Gildas Sagot furent repris par Gallimard. D'autres éditions proposeront les œuvres d'autres auteurs, également sous forme de séries, de qualités inégales. Nous pouvons citer la collection des éditions Presses Pocket intitulée Histoires à jouer parue entre 1986 et 1988. Le Grand mammouth, rédigé par Fabrice Cayla et Jean-Pierre Pecau, fut le premier tome, ouvrant par la même occasion une première série : Les livres à remonter le temps. Leurs séries de livres-jeux français furent parmi les plus célèbres et abordèrent divers thèmes variés tels que l'histoire, le policier, l'espionnage, ou la science-fiction. Ils n'étaient cependant pas tous réputés pour leur difficulté. En fin de volume, cette collection proposait au lecteur d'adapter l'aventure en jeu de rôles, avec ses amis.
Toujours en 1986, mais d'un tout autre niveau, paraissent les premiers tomes de l'admirable Saga du Prêtre Jean (collection Maître du jeu, Hachette, Haute Tension) mise au point par Doug Headline et Dominique Monrocq. Elle ne fut malheureusement pas éditée dans son entièreté. En effet, les trois derniers livres annoncés ne parurent jamais. C'est là un problème que n'auront pas oublié les amateurs de Gildas Sagot, dont la série Les Métamorphoses (1993-1994) se vit amputer malencontreusement de ses deux derniers livres. D'autres séries verront le jour dans diverses éditions, notamment Livres de Poche (Livre interactif), Carrere Junior, Albin Poche (Vous êtes le héros), Solar, et Pélican, qui éditeront autant de traductions d'autres Gamebooks moins connus, que Gallimard n'aura pas repris à son compte, que de livres-jeux d'origine francophone.
Si certaines des séries (souvent très courtes) proposées par les autres éditions n'auront pas bénéficié de la notoriété des livres-jeux édités par Gallimard, certains n'en ont pas moins été très originaux et de qualité. Les avatars du genre furent très nombreux, dans bon nombre de pays. Nous ne nous étendrons pas davantage sur la question, car il y aurait matière à rédiger un historique propre à ces derniers.
Avançons néanmoins qu'après l'âge d'or des Livres dont vous êtes le héros, un système novateur de livres-jeux vit le jour en 1997 (pour s'achever en 1999). Mais la passion pour ce type de lecture s'étant estompée, ce concept ne rencontra pas le succès escompté, malgré le nombre de tomes sortis et la qualité des éditions Hachette. Nous parlons ici des Quasar, dont l'une des principales différences était d'avoir proposé aux lecteurs des images de synthèse, dont quelques unes colorées. Davantage proches d'un jeu vidéo (le joueur se déplace d'après des plans où sont indiqués les paragraphes), cette nouvelle collection créée par Migou (collectif) se divise en trois séries : deux d'entre elles prévues pour le jeu en solitaire (Quasar Solo et Méta Solo), et une autre pour un mode multi-joueurs (Quasar Saga) où l'on pouvait incarner un des personnages précédemment joué dans une des séries solos. La méthode, fort originale (mélange de mythologie et de science-fiction), souffrait de règles trop confuses en même temps que brèves, d'une part, et de l'essoufflement du genre, d'autre part.
Années 90- début des années 2000 : le déclin
Dès le début des années 1990, le livre-jeu commence à décliner dans les pays francophones. La baisse des ventes est sensible et par conséquent les rayons consacrés à ce type de livres rétrécissent à vue d'œil dans les magasins, tandis que les bouquinistes d'occasions commencent à contrario à augmenter leurs stocks. Néanmoins Gallimard continue de proposer de nouveaux ouvrages et de renouveler ses offres. En effet, vers 1996-1997, les éditions parent leurs désormais nostalgiques livres dont vous êtes le héros d'une nouvelle couverture, représentant le même dessin que l'ancienne mais nantie de caractères brillants en relief (présentation similaire à celle des Quasar). De plus, cette réédition, qui pouvait passer pour une volonté de relancer le livre-jeu, lui plantait en réalité un couteau dans le dos en supprimant définitivement certains tomes, et parmi les meilleurs du genre, les relayant aujourd'hui au rang de livres rares que certains amateurs recherchent encore chez les bouquinistes, devenus le seul moyen de se les approprier. Certaines séries entières auront ainsi été effacées de la nouvelle édition.
Cependant, Gallimard n'aura jamais cessé d'éditer quelques-uns des nouveaux gamebooks anglais. C'est notamment le cas des derniers Défis Fantastiques, série qui connaît un sursis avec le succès inattendu de Retour à la Montagne de Feu (Défis Fantastiques #50), mais sans lendemain puisque la série s'arrêtera (du moins provisoirement) en 1995 en Angleterre. Loup Solitaire connait également ses dernières heures : après la parution des huit tomes du nouveau cycle où l'on incarne le successeur de celui qui est devenu un véritable Suprême Grand Maître Kaï à l'issue du vingtième numéro, la série s'arrête en 1998 suite à un désaccord entre Joe Dever et l'éditeur Red Fox. Les quatre derniers tomes censés conclure la série ne verront jamais le jour. En trois ans, ce sont les deux principales séries de Livres dont vous êtes le Héros, regroupant à elles deux plus de 90 volumes, qui viennent de tirer leur révérence.
La dernière série originale que publiera Gallimard sera également la dernière de J.H. Brennan (curieusement crédité comme Herbie Brennan), Défis de l'histoire, qui cible avant tout les petits enfants, puisque contenant un nombre réduit de paragraphes, mais tout en gardant le ton humoristique des anciennes séries. Le premier numéro sortit en Angleterre en 1997 sous le titre de Egyptian Quest, et fut traduit en français en 2000 par Le trésor des Pharaons. En 1997 sortait chez Gallimard le premier Défis Fantastiques et le premier Loup Solitaire nouveaux revêtus de la seconde couverture: La Revanche du Vampire (Défis Fantastiques #57), traduction tardive du Revenge of the Vampire de Keith Martin(1995), un des meilleurs auteurs de Défis Fantastiques, et La Guerre des Runes (Loup Solitaire #23), traduction du Rune War de Joe Dever (1995). Mais à cette époque les Quasar concurrencent Gallimard, alors que le déclin s'affirme pour les deux. Bien avant Gallimard, Hachette avait déjà arrêté toutes ses séries entre 1987 et 1988, conséquence de la nouvelle ligne éditoriale de la société.
Fin des années 2000- début des années 2010 : l'amorce d'un renouveau ?
Malgré la mort annoncée du genre, Gallimard continue de rééditer bon nombre de livres de son catalogue entre 2000 et 2005. Ainsi, certains Défis Fantastiques et les Sorcellerie! paraissent-ils de nouveau, nantis du sceau des Fighting Fantasy tel que présenté dans la nouvelle édition anglaise. Les 20 premiers Loup Solitaire, les Dragon d'Or ou les Quêtes du Graal font également l'objet de diverses rééditions.
Jouant la carte de l'originalité, les éditions Ellipses font paraître en 2003 les deux premiers tomes de la série La Culture dont VOUS êtes le héros que sont Quel révolutionnaire êtes-vous ? ainsi que Quel évolutionniste êtes-vous ? . Le premier met le lecteur dans la peau d’un décideur dans le contexte de la Révolution : dans ce livre-jeu basé sur la politique et l’Histoire, on peut ainsi tenter de défendre la monarchie contre vents et marées, proposer des mesures libérales... Le second tome (Quel évolutionniste êtes-vous ? ) est quant à lui sans doute le premier livre-jeu dédié à la vulgarisation scientifique, ici dans le domaine de la biologie.
Dans cette collection aux thèmes originaux qui fut rééditée en 2011, mentionnons également Quel économiste êtes-vous ? , qui dans une optique un peu plus éducative que ludique, permet d’apprendre beaucoup sur les politiques économiques. Remarquons d’ailleurs que la littérature interactive pourrait être davantage utilisée comme outil pédagogique qu’elle ne l’a été jusqu’ici : apprendre sous forme de jeu est souvent plus aisé car plus agréable (sans oublier le challenge, source de motivation). Du reste, les choix soumis au lecteur donnent droit à l’erreur : s’il en commet une, il pourra lui être expliqué pourquoi sa décision n’était pas la bonne, plutôt que de rester dans le doute.
En 2006 sort également dans l'hexagone l'objet livresque non identifié Emma : Votre vie est liée à la sienne, par Angelina Iacovone et Damien Maric. Ce livre suit les codes du Livre dont Vous êtes le Héros, avec une histoire à choix, mais il est expurgé de tout système de règle, les paragraphes sont plus longs qu'à l'ordinaire, légèrement au détriment du nombre de choix, et surtout sa thématique est pour le moins original, puisque son héroïne est une jeune femme ordinaire et que tout se passe dans notre monde, à l'époque contemporaine. Le livre, destiné à un public adulte et féminin, a été plutôt bien reçu, et deux autres ouvrages dans la même lignée ont été produits, cette fois par Jérôme Attal.
C'est en avril 2005 que la littéraction connaît un nouveau tournant. Outre-manche, Wizard Books réédite un certain nombre de Fighting Fantasy ; parmi eux, figurent un opus inédit, le premier depuis Curse of the Mummy en 1995 (non traduit en français) ! Il est signé d'un des co-fondateurs de la série, Ian Livingstone en personne, et s'intitule Eye of the Dragon. Le livre crée l'évènement au sein de la communauté des amateurs, même si son contenu s'avère au final décevant. En France, Gallimard publie le livre sous le titre L'œil d'Emeraude, au sein d'une réédition des Défis Fantastiques en janvier 2007. C'est le premier livre dont vous êtes le héros original proposé depuis septembre 2000. C'est également l'occasion d'un nouveau changement de couverture : exit les grosses lettres brillantes, place à un format plus sobre mais aux couvertures moins grandes, en partie masquées par un cadre runique. Gallimard ne traduit en revanche pas Curse of the Mummy, ce qui crée pour la première fois un trou dans la collection de Défis Fantastiques des amateurs francophones.
Parallèlement, en Angleterre, deux nouveau Fighting Fantasy sortent quasiment coup sur coup : Bloodbones (prévu depuis 1995 mais qui n'avait pu paraître alors) en septembre 2006 et Howl of the Werewolf en septembre 2007, tous deux l'œuvre de Jonathan Green. Ils abordent des thèmes aussi différents que la piraterie et le vaudou pour le premier et l'univers des loups-garous pour le second. Ils recevront des critiques plus élogieuses que Eye of the Dragon, notamment Howl of the Werewolf qui sera rapidement considéré comme l'un des tout meilleurs de la série. En septembre 2009 et avril 2010, Jonathan Green publie deux nouveaux livres, Stormslayer et Night of the Necromancer, toujours au sein de la série Fighting Fantasy. Là encore l'accueil du public anglophone est chaleureux face à des œuvres plus équilibrées que par le passé et proposant des scénarios novateurs, notamment Night of the Necromancer où l'on incarne le fantôme d'un homme assassiné cherchant à percer le mystère de sa propre mort.
En France, on assiste également à un frémissement du livre-jeu. Après diverses réeditions entre 2007 et 2012, Gallimard décide de traduire Bloodbones, qui sort sous le titre Le Pirate de l'au-delà en juin 2012. A cette occasion, un nouveau format (quatrième édition) est proposé, plus sobre encore que le précédent et faisant la part belle à la couverture mais avec une mention un livre dont vous êtes le héros plus ostensible que par le passé. Le Pirate de l'au-delà paraît quant à lui dans un grand format, une première pour un livre dont vous êtes le héros en France ! Ce changement permet de donner une impression plus adulte et améliore la qualité de lecture, avec notamment des pages de meilleure qualité.
Moins d'un mois plus tard, Ian Livingstone présente outre-manche un nouveau livre pour célébrer les 30 ans de la sortie de The Warlock of Firetop Mountain. Blood of the Zombies est une aventure fantastique, se déroulant dans un monde contemporain, une première chez l'auteur. Ce dernier a par ailleurs tenu les fans au courant de l'avancée du projet, en leur permettant notamment par le biais des réseaux sociaux d'en choisir le titre. Toutefois les premiers retours calment l'enthousiasme des fans ; il semblerait en effet que Ian Livingstone soit retombé dans ses travers d'antan avec un livre à la jouabilité douteuse et au scénario assez éculé.
Et maintenant ? En France, Gallimard devrait poursuivre la réédition d'une partie de son catalogue, avec en point d'orgue la sortie programmée de Night of The Necromancer (sous le titre La Nuit du Nécromancien) en novembre 2012. Le 25 mai dernier est sorti Chevaliers - Journal d'un héros, qui assume pleinement d'être un « bande dessinée dont vous êtes le héros ». L'aventure est découpée en sections numérotées d'une ou plusieurs case(s) et le lecteur progresse exactement à la manière des LVH. Cet ouvrage a été très bien reçu et une suite serait déjà dans les tuyaux. En Angleterre, Jonathan Green plancherait déjà sur un nouveau Fighting Fantasy, dont l'action se déroulerait au sein d'une prison de laquelle il faudrait s'échapper.
Par ailleurs, les nouvelles technologiques que sont les smartphones ou les tablettes numériques offrent à la fois des possibilités économiques (suppression des frais d'impression) et pratiques (automatisation et gestion des règles) très avantageuses pour le genre du livre-jeu. La société TinManGames propose notamment des aventures inédites tandis que Big Blue Bubble convertir progressivement les Fighting Fantasy à ce format. On peut espérer que des sociétés françaises, voire même Gallimard, appliquent ces idées prometteuses dans la langue de Molière.
Le livre-jeu va-t-il donc renaître à l'heure du numérique, justement grâce aux nouvelles possibilités offertes par les technologies actuelles ? Les prochains mois devraient être décisifs pour savoir si ces nouveautés sont seulement un feu de paille ou les prémisses d'une véritable résurrection de la littéraction, trente années exactement après sa popularisation.
Cette page est une adaptation de l'article d'Oliver Monseur (Paragraphe 14) Essai sur une histoire du livre-jeu, paru dans La Feuille d'Aventure en Septembre 2005. Adaptation réalisée par Aragorn, avec divers auteurs pour les compléments d'information.
1 Une théorie récurrente voudrait que James Campbell soit en fait un pseudonyme sous lequel se cacherait un auteur français, aucune trace d'une édition non-française n'ayant été trouvée. Le nom de Jean-François Ménard, principalement connu pour son travail de traducteur, en particulier pour la saga des Harry Potter, a été évoqué, mais sans preuve à ce jour.