De fleurs et des arcs-en-ciel : Labyrinthe

À l'heure où j'écris cet article, le site Litteraction abrite un nombre important, et toujours croissant, d'histoires à lire et à jouer. Difficile pour le nouvel arrivant de s'y retrouver, de savoir par où commencer, malgré le phare bienveillant des prix Yaztromo. J'ai donc décidé d'ouvrir cette nouvelle rubrique pour mettre en avant des aventures, connues ou pas, primées ou non, récents ou anciennes, qui sont disponibles sur le site et que j'ai envie de faire partager au maximum de gens possibles.

Il s'agit d'une sélection subjective, qui n'engage que moi (ou tout autre rédacteur qui se plierait à l'exercice dans le futur), et, s'agissant de textes que j'apprécie particulièrement, les lignes qui vont suivre seront très probablement éclatantes de paillettes et d'adjectifs mélioratifs, d'où le titre. Je suis là pour dire du bien des choses que j'aime, sans honte ni vergogne, pas pour disséquer dans le détail un point-virgule manquant.

Cette introduction terminée, revenons à l'actualité, du moins l'actualité de la date qui est en haut de cet article. Fitz vient tout juste de gagner le Yaztromo d'or pour le troisième et dernier volet de sa saga Gloire Posthume, déjà récompensée à deux reprises. La logique serait donc d'en profiter pour faire une rétrospective complète sur ces trois volumes, en commençant par le premier.

Mais comme j'ai l'esprit de contradiction, je vais faire l'exact inverse. Et quel meilleur opposé, miroir, image inversée, antithèse, de Gloire Posthume, en particulier de sa première incarnation, que :

Labyrinthe

Un peu d'histoire

Labyrinthe est une aventure dont vous êtes le héros écrite par Outremer pour le prix Yaztromo 2007, après qu'il ait remporté celui de 2005. Elle affronta la première œuvre interactive d'un petit nouveau, un certain Fitz, nommé Les Sabres d'Eshnar, mouture originelle de ce qui deviendra Les Sabres d'Asguenn, alias Gloire Posthume 1.

Le combat fut acharné, et symbolique à bien des niveaux. Le challenger inconnu contre le tenant du titre, héros contre héroïne, le passé simple contre le présent, avec hasard contre sans hasard, classique contre expérimental... Deux aventures d'excellente qualité, mais diamétralement opposées. Un duel de titans qui se conclue par la victoire de Fitz à un point près.

Je peux l'avouer maintenant : En attribuant 4 points à GP1 et 3 points à Labyrinthe, je peux être considéré, avec un peu de mauvaise foi et de folie des grandeurs, comme responsable de cette victoire et de cette défaite, car l'inversion de mon classement aurait changé la donne. Et d'un point de vue objectif, je le regrette pas. L'aventure de Fitz surclassait celle d'Outremer sur de nombreux points techniques, et en particulier la gestion de la difficulté (nous y reviendrons). Elle était plus solide, plus consistante, plus travaillée, plus aboutie.

Même aujourd'hui, si vous me demandez quelle était la meilleure des deux le plus objectivement possible, je continuerais à vous répondre « Les Sabres ». Mais maintenant, si vous m'interrogez sur laquelle de ces deux œuvres m'a le plus marqué, influencé, affecté mon style d'écriture et ma conception de la construction d'histoires interactives ?

Labyrinthe.

Sans aucun doute, sans aucune hésitation.

Les Sabres, c'est une aventure excellemment écrite, bien équilibrée, bien construite, polie, lissée, avec un scénario original et bien amené. Mais elle conserve une certaine dose de classicisme qui permet de rester en territoire connu, de garder des repères. Je pourrais pousser la philosophie en disant qu'elle est prisonnière de sa propre perfection : Elle est exactement ce qu'on attend d'une très bonne avh, mais la conséquence est justement que cela la prive de cette petite étincelle de folie, d'exubérance, d'imprévu.

Labyrinthe, c'est l'exact inverse. C'est une histoire qui vous prend aux tripes et ne vous lâche pas, qui vous jette directement dans un inconnu où vous devez nager à contre-courant pour survivre. Il y a des imperfections, mais lorsque son flot vous emporte vous n'y prenez plus garde, prisonnier de son ambiance, de son scénario, de son découpage. Du baroque enfiévré qui vous dévore et se refuse à vous lâcher.

Le labyrinthe qui donne son nom à l'aventure

Sur les chapeaux de roue

Témoin de cette entrée en matière cavalière, voici le début de l'aventure, copié-collé tel quel :

Labyrinthe
Une Aventure d’Outremer

1
Vous êtes occupée à jouer.
On vous a laissé sans surveillance dans la pièce de la maison où sont rangés tous les jouets et personne n’est encore venu vous chercher. Vous n’avez pas cessé de vous amuser depuis : il y a tellement de choses drôles et intéressantes qui vous entourent ! Vous ne vous souvenez même plus de tout ce que vous avez essayé.
Cela doit faire un long moment que vous êtes ici, mais vous n’êtes pas le moins du monde fatiguée. Au contraire, vous vous sentez pleine d’une énergie inépuisable. Vous espérez qu’on a oublié que vous êtes ici et que vous allez pouvoir continuer à jouer tranquillement. Vous n’avez même pas envie que quelqu’un vienne vous apporter votre goûter. D’ailleurs, vous n’avez ni vraiment faim, ni vraiment soif.
Vous n’êtes pas ennuyée d’être seule. Pourtant, alors que vous êtes allongée sur le ventre au milieu de la pièce et en train de commencer un nouveau livre d’images, il se produit un changement. L’histoire parle d’une famille de lapins qui vit au milieu de la forêt. Comme vous n’avez pas encore appris à lire, vous imaginez à voix haute ce qu’ils se disent, vous efforçant de prendre une voix différente pour chaque personnage.
Vous êtes sur le point de tourner la page mais, au lieu de cela, vous refermez soudain le livre et vous le reposez par terre. Brusquement, sans savoir au juste pourquoi, vous n’avez plus envie de rester ici. Il reste encore d’innombrables jouets que vous n’avez pas essayé, mais ils ne vous attirent plus. Le temps que vous avez passé à l’intérieur de cette pièce vous paraît soudain interminable et vous avez l’impression que vous auriez du en sortir depuis longtemps.
Vous vous levez et regardez autour de vous. La pièce vous semble avoir changé ou peut-être est-ce la première fois que vous la voyez vraiment. Les couleurs claires de la moquette et du papier peint vous sont familières, mais vous ne réalisiez pas que votre espace de jeu était si vaste. De l’endroit où vous êtes, il vous faudrait une douzaine de grandes enjambées pour atteindre le mur le plus proche.
Il n’y a pas de fenêtre : la seule lumière vient d’une grosse lampe toute ronde accrochée au plafond. Mais surtout, il n’y a aucune porte nulle part ! Vous êtes pourtant certaine qu’il y en avait une, dont la grosse poignée vous arrivait un peu au-dessus de la tête. Mais où se trouvait-elle ? Vous ne vous rappelez absolument plus.
Après avoir réfléchi quelques instants, vous vous dites qu’il doit forcément exister un autre moyen de sortir d’ici. Si vous cherchez partout, vous le trouverez forcément.

Pas d'introduction. Pas de règle. Pas de mise en situation. C'est à peine s'il y a le titre et le nom de l'auteur avant que l'histoire ne démarre. Et pas dans une situation classique, loin de là. Qu'est-ce que c'est que cette histoire de gamine oubliée dans sa salle de jeu ? Ils sont où les aventuriers en armure de cuir et les sorciers à éliminer ?

Bon, je caricature. Même en 2007, le porte-monstre-trésor, c'était déjà un cliché éculé en perte de vitesse. Mais il n'en reste pas moins que c'est une aventure déroutante dès les premières lignes. Cette originalité annonce certains titres cent fois plus barrés qui paraîtront par la suite comme La chute, mais ne nous avançons pas tant dans le temps.

Cette brieveté dans l'introduction est également possible car l'aventure ne se base sur aucun mécanisme à base de dés ou de tableaux. Tout au plus faudra-t-il un papier et un crayon pour noter quelques informations.

En 2007, c'était bien moins courant qu'aujourd'hui, même si quelques expériences avaient déjà été tentées (la série Destins pour les ouvrages publiés, Le Pensionnat des Ombres, d'Outremer toujours, Nils Jacket contre l'Agent X de JFM...), mais jamais de manière aussi radicale.

J'aurais même tendance à penser que le succès de Labyrinthe a contribué à favoriser ce format sans jets de dés qui a ma préférence et auquel je suis resté fidèle par la suite.

À tâtons

Ce commencement impromptu, avec un minimum d'explications, est parfaitement volontaire. Labyrinthe est construit autour de la découverte progressive, méthodique, de son scénario, point par point, indice par indice, en partant de pas grand chose jusqu'à arriver au puzzle complet. L'aventure nécessite d'être fouillée, furetée jusque dans ses moindres recoins pour trouver les pièces manquantes. La plupart des indications sont implicites et nécessitent de réfléchir un peu, de les relier à d'autres, pour reconstituer la toile.

Ayant relu le texte pour cet article, des années après et en connaissant déjà la solution, je me suis aperçu de l'extrême cohérence de l'ensemble. Il y a littéralement des indices dès le premier paragraphe, mais le lecteur n'a à ce moment là pas assez de recul, de données, pour les interpréter pour ce qu'ils sont. Ce n'est qu'après quelques essais, quand il aura glané des informations ici-et-là, que le portrait commencera à se dessiner.

L'aventure : Allégorie

Il n'y a pas une pièce qui ne s'emboîte pas, tout trouve sa place dans le puzzle final. L'aventure a clairement été tricotée autour d'une idée bien précise sans jamais la perdre de vue, et cela se ressent dans sa grande consistance.

Cette cohérence incite le lecteur à fouiller toujours d'avantage, à chercher confirmation ou infirmation de ses hypothèses dans les détails des lieux, des personnages, des situations car il sait que l'aventure a un but, et pas simplement que l'auteur s'amuse à accumuler des mystères pour gagner du temps comme dans une mauvaise série à suspens.

De ce point de vue, il doit s'agir d'une des meilleures aventures d'investigation, actuellement disponible sur ce site. L'intrigue est haletante, passionnante, entraînante, complexe sans être tirée par les cheveux, difficile à démêler mais avec suffisamment d'indices pour constamment progresser, pas avec pas, vers la compréhension.

Jabberwocky

Mais là où elle s'en détache, c'est que Labyrinthe, plutôt que de puiser dans les films noirs et les séries policières, prend pour cadre l'imaginaire, l'onirique, la folie. C'est un univers métaphorique, bourré de références, de passages étranges, de scénettes symboliques.

Ainsi, autant la construction narrative était un exemple de cohérence, autant le monde l'aventure lui-même se plaît-il à être le plus chaotique, le plus coq-à-l'âne possible. C'est une évolution fantastique inconstante, dans lequel Outremer a pu lâcher toute bride à son talent d'écriture, avec quelques passages où il se surpasse lui-même (le 96, le 162...).

C'est du grand, du très grand, en termes de style, d'ambiance, d'environnement. Un marriage très réussie entre une colonne vertébrale robuste et un emballage chatoyant et chamarré.

Le retour de la créature en blouson du levant

Bon, histoire, c'est du tout bon. Style, nickel. Ambiance, superbe. Construction, ciselée.

Il reste...

La difficulté.

Soyons clair : Une aventure d'enquête doit opposer une certaine résistance. Ce n'est pas drôle de découvrir la solution du premier coup. Pour un plaisir optimal, il faut trouver une structure qui incite le lecteur à recommencer plusieurs fois, récupérant de nouveaux indices à chaque essai, pour qu'il puisse reconstituer peu à peu le puzzle.

Cela ne me choque donc pas qu'une histoire de ce genre demande, selon sa taille, cinq, dix, vingt... tentatives.

De ce point de vue, c'est une réussite. L'histoire peut se recommencer le sourire aux lèvres bon nombre de fois tant il y a à découvrir.

Mais il y a une limite à cela que j'appelerais le point Nils Jacket.

En effet, quelle que soit la complexité de l'énigme, il va arriver un moment où le lecteur aura trouvé la solution, découvert les indices le confortant dans cette hypothèse, démonté les fausses pistes... Bref, il sait.

À ce moment-là, explorer l'aventure de long en large commence à perdre de sa saveur, puisque toute nouvelle preuve, directe ou indirecte, ne fait que le conforter. On assiste à la perte de cet aspect découverte, enquête, qui faisait tout le sel. Soulever la poussière dans chaque recoin devient fastidieux car il n'y a généralement plus rien de transcendant à y trouver.

Si à ce moment-là, le lecteur, même muni de la bonne solution, ne parvient à conclure l'histoire en une, deux, peut-être trois tentatives, il va rapidement se développer une frustration extrême. Un peu comme d'avoir compris comment battre le boss final d'un jeu, d'avoir préparé son personnage pour parvenir contre lui dans les conditions optimales, et de ne pas parvenir à le vaincre néanmoins parce qu'il faut être précis au pixel près.

C'est malheureusement le cas pour Labyrinthe. Il est possible d'arriver à l'avant-dernier paragraphe en ayant tout compris et de perdre parce qu'il nous manque un mot-code planqué de la façon la plus retorse qui soit.

Je n'ai rien contre les secrets bien cachés, tout au contraire. D'ailleurs, j'aime beaucoup ceux de cette aventure (l'éléphant, Aria, Tabaxi, l'effraie...). Mais à condition qu'ils soient facultatifs. Je les vois un peu comme ces boss bonus quasiment invulnérables de jeux vidéo : un challenge pour le joueur acharné et passionné, mais qui n'empêcheront pas celui qui est là pour l'histoire de finir le scénario principal plus tranquillement.

Ici, si ceux que je viens de nommer explicitement sont effectivement de simples bonus, il en existe un, que je ne citerai pas, qui est indispensable pour parvenir à la victoire et qui est dissimulé avec une fourberie qui confine au sadisme.

Cela, et une quatrième et dernière partie un peu en-dessous ce qui la précède, à l'exception de sa conclusion, rabaisse malheureusement l'aventure, en forçant le lecteur à patiner inutilement alors que la lumière est à portée de vue. Un dérapage lors du sprint final qui coûte énormément à une aventure au parcours jusque là sans tâche.

Finir Labyrinthe, simple comme d'ouvrir une porte. La porte ci-dessus.

Quelques clés

En conclusion, Labyrinthe est une de ces histoires qu'il faut avoir lue. En terme d'ambiance, de style, de scénario, de construction, c'est un modèle exemplaire et instructif. Ses seuls points faibles sont sa dernière ligne droite un peu ratée (dans le référentiel de ce qui la précède) et sa difficulté à se cogner la tête contre les murs.

Pour ce dernier défaut, je peux cependant essayer de l'atténuer moi-même. Vous trouverez en guise de conclusion quelques indices sur des points potentiellement bloquants. Surlignez pour avoir la solution, et, bien sûr, ne le faites pas avant d'être vraiment coincé.

Et pour résumer tout ceci en quelques mots...

Lisez-la.

Lisez-la tout simplement.

Elle en vaut largement la peine, et même un peu plus.

Skarn

 

Les indices

Bloquée à la fin de la seconde partie (entre le 7 et le 220) ?
Il vous faut un objet qui se trouve dans la première. Pour l'obtenir, rappelez-vous que les vraies demoiselles boivent du thé, mais en silence.

Bloquée à la fin de la troisième partie (entre le 228 et 233) ?
Il est possible de s'en passer, mais un objet se trouvant dans la seconde partie simplifie énormément les choses. Pour l'obtenir, rappelez-vous de bien observer les flèches et de toujours les faire pointer vers les cieux.

Impossible de franchir l'ultime obstacle ?
Celui-ci est coriace. Il vous faudra trois éléments. Le premier est derrière les rideaux, le second au milieu des miroirs, et le dernier au niveau de l'avant-dernière porte.

L'indice que tu viens de donner est presque aussi opaque que l'aventure elle-même !
J'en conviens, et voilà le détail.
Premier élément :
Au 217 (passage obligatoire dans la seconde partie), regardez derrière les rideaux (23), demandez de l'aide (123), qu'elle vous accompagne (84), en insistant (36), mais pas trop (207). Ne déviez absolument pas de ce chemin très précis, ou ce sera l'échec instantané.
Second élément :
La salle Soi (16) est sur votre chemin. Pour la résoudre, il vous faudra le nom de l'héroïne, qui est trouvable de multiples façons. Si vous ne l'avez pas, recommencez (encore), munissez-vous d'un papier et d'un crayon, et notez scrupuleusement tous les textes et lettres éparpillées sur votre chemin. La solution devrait vite apparaître.
Troisième élément :
Muni des deux éléments précédents, à la sixième porte (192), secouez donc l'arlequin (32)

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