Placement produit : Captive

Je vous aime bien les gens, mais vous savez ce que j'aime encore plus ?

L'argent.

L'argent. Le pèze. Le flouze. L'oseille. La thune. Alors quand des professionnels m'ont proposé de mettre mon intégrité entre parenthèses et d'écrire des articles sponsorisés contre espèces sonnantes et trébuchantes, je n'ai pas hésité une seconde. Qu'on se le dise, en échange d'un gros chèque, je peux dire du bien de n'importe quoi, même des pires horreurs du monde. Je vais donc passer le prochain quart d'heure à essayer de vous convaincre de dépenser 19€ dans un titre paru récemment, tout ça pour toucher ma part.

Bon, d'accord, c'est faux. Je n'ai pas reçu un kopeck de qui que ce soit. Je ne vais pas non plus mentir ou enjoliver la vérité, du moins pas consciemment. Par contre, ce qui est vrai, c'est que je vais essayer de vous convaincre de dépenser votre argent dans un produit payant du commerce plutôt que de faire la promo d'un des titres gratuits présents sur le site.

J'ai pas mal débattu avec moi-même sur l'intérêt d'une telle rubrique, et en suis venu à la conclusion que mon but était de mettre en avant de bons livres jeux, quel que soient leurs canaux de distribution, et que je n'avais pas de raisons de me restreindre à ceux disponibles sur le site en ce moment même. J'ai également beaucoup hésité sur le sujet de cet article précis, car je voulais parler d'un livre qui dispose déjà un certain nombre de critiques dithyrambiques à son sujet, et je n'étais pas vraiment sûr qu'il ait besoin d'un coup de projecteur supplémentaire. Puis je me suis rendu compte que c'était la qualité de l'ouvrage qui devait déterminer sa présence ici, pas sa couverture médiatique. Nous allons de parler de :

Captive

Des petits Mickeys

Première particularité de Captive, s'il s'agit bien d'un livre avec des pages imprimées accrochées à une couverture, il appartient à une catégorie finalement très peu représenté dans la littérature interactive : la Bande Dessinée.

Il y a déjà eu une poignée de BD-jeux dans des temps reculés, ouvrages souvent anecdotiques et peu maîtrisés qui n'auront laissé guère de souvenirs. Plus récemment, on notera le bien plus abouti Vanille ou Chocolat ?, dont on reparlera peut-être ici.

Cependant, le gros bouleversement dans le domaine est la collection La bd dont vous êtes le héros (©) chez Makaka Editions, qui à partir de 2012 a commencé à fournir un flux régulier de BD-jeux. Le premier titre de cette nouvelle vague a été Chevaliers – Journal d’un héros, dont sont extraites les images ci-dessous. Titre plutôt expérimental, où la structure aussi bien narrative que ludique se cherchait encore, il a cependant posé plusieurs bases importantes qui seront réutilisées par la suite :

  • Les choix ne se font plus uniquement via des boîtes de dialogue, mais aussi par le dessin lui-même, des numéros de sections étant placés dans le décor, correspondant à des chemins, des objets, des situations. La plupart sont clairement visibles, mais certains sont volontairement dissimulés, secrets à découvrir, et nécessitent une bonne vue (ou de bonnes lunettes) et un éclairage confortable pour être découverts sans sacrifier sa rétine.
  • Une place prédominante est donnée à l'exploration, en utilisant justement cette astuce des numéros cachés pour créer une dynamique de découverte, de recherche active du lecteur.
  • Le découpage graphique est diversifié, une section pouvant être constituée d'une ou plusieurs cases, de tailles variables, selon les besoins de la scène qui s'y déroule, d'une unique grande case pour la présentation d'un nouveau lieu à de multiples petites pour une séquence d'action intense.
  • L'aspect jeu est fortement mis en avant, avec des règles pas forcément triviales, la possibilité de perdre, et une certaine difficulté obligeant à faire plusieurs essais pour arriver au bout.

Des caractéristiques qui se retrouvent toutes dans Captive, avec quelques degrés de raffinement supplémentaire, grâce à l'expérience acquise et transmise par les scénaristes et dessinateurs ayant défriché ce renouveau (notamment Shuky, également co-fondateur de Makaka), mais aussi par celles propres des auteurs de Captive. Car si leurs noms sont nouveaux dans le domaine de la bande dessinée, ce ne sont pas vraiment de jeunes débutants ingénus.

[MC] dessine depuis bien longtemps, et cela se voit, et s'il n'a jamais fait parler de lui avant l'année dernière, ce n'est pas par manque de talent mais car il dût passer un certain nombre d'années loin des planches pour des raisons pratiques indépendantes de sa volonté.

Quant à Manuro, il s'agit du pseudonyme d'Emmanuel Quaireau, mais en ces lieux, il est plutôt connu sous celui de Fitz. Je vous en ai déjà parlé (ici ou ). L'auteur du site avec le plus de premières places au concours Yaztromo, et le second en nombre total de récompenses, dépassé d'une courte tête par son rival de toujours, Outremer.

Autant dire que quand cet ouvrage a été annoncé, en tant que bédéphile et fan du sire, j'étais rempli d'espoirs... Mais aussi d'appréhensions à l'idée de les voir déçus.

Alors verdict ?

Ça ne rigole pas

Couverture cartonnée et magnifique, plus de 200 pages, un format un peu hors-norme, un peu plus grand qu'un manga mais plus petit qu'un album à l'ancienne, du type utilisé par certains comics indépendants, rééditions de luxe de mangas ou encore fumetti italiennes... Autant dire que la présentation extérieure est léchée.

À l'intérieur, la première impression, c'est l'obscurité. Les titres précédents de Makaka dans la même collection étaient en premier lieu à destination des enfants. Ici, les couleurs sont bien moins vives, le dessin plus réaliste tout en petits traits plutôt qu'en aplats, l'ambiance plus pesante, plus stressante. Le livre se veut, avec succès, plus mature, à la fois dans son histoire, son déroulé et son traitement graphique.

Le scénario n'est pas un exemple d'originalité (la fille du héros est enlevée par une secte et il doit fouiller un mystérieux manoir pour la retrouver avant qu'il ne soit trop tard), mais il est largement compensé par la diversité des situations qu'il permet, avec des scènes d'action, d'enquête, d'horreur atmosphérique... L'ouvrage s'inscrit dans les lignées des Resident Evil, Silent Hill, et surtout de leur grand-père commun, Alone in the Dark, mais n'a pas à rougir de la comparaison.

Il se permet même quelques passages plutôt violents, que ce soit physiquement ou psychologiquement. Rien qui le fera interdire au moins de seize ans, mais assez pour le déconseiller aux têtes blondes.

Et bien sûr, c'est vachement bien dessiné, mais ça, vous avez des yeux pour le voir, je n'ai pas vraiment besoin de le souligner.

Plume et pinceau

Expédions rapidement les règles, présentes mais agréablement simples : trois caractéristiques chiffrées (Force, Dextérité, Volonté) ajustables selon l'envie pour définir notre personnage, un score de points de Vitalité, un équipement limité, et une valeur de Temps écoulé. Je ne vous fais pas un dessin, c'est relativement transparent : Les caractéristiques servent à déterminer si le héros réussira à s'en sortir dans des situations l'amenant aux limites de ses capacités, les PV diminueront à chaque blessure et atteindre zéro signifie la mort et l'échec, les cases d'équipement, vides au départ, correspondent aux objets qu'il sera possible de ramasser, et le temps s'épuisera au fur et à mesure de l'avancée de l'aventure.

Intéressons-nous plutôt à leur utilisation dans l'ouvrage. Sur ces quatre éléments, deux passent uniquement par le texte. Ce seront des mots qui nous indiqueront si nous perdons ou gagnons des points de Vitalité, ou si nous avons un score suffisant pour triompher de l'épreuve en cours.

Pour les objets, c'est un peu différent. Si c'est bien le texte qui dit s'il est possible de les ramasser ou des les utiliser, il faudra tout d'abord les découvrir dans l'image.

De même pour le temps, c'est une icône qui indique qu'il faut cocher les cases, mais c'est le texte qui gère les conséquences de cette progression de l'horloge (pas d'image pour le second cas, car haut niveau de spoil).

Si j'insiste sur ces points, c'est pour mettre en avant une vérité fondamentale : C'est une véritable bande dessinée dont vous le héros, pas un roman-jeu illustré mal déguisé. La construction graphique a une importance cruciale et de gros efforts ont été fait pour que le texte ne phagocyte pas l'image, avec même un certain nombre de passages muets. Il y a une harmonie, une symbiose entre les deux éléments, et non une concurrence.

Les règles du jeu

La difficulté est plutôt bien dosée, le livre opposant une certaine résistance mais pas suffisamment pour devenir frustrant, et offre une grande liberté de parcours, avec de multiples sous-quêtes, ce qui les rend les relectures toujours plaisantes. Il dispose également d'un système de score plutôt bien pensé à la fin : à côté de chaque achievement est apposé une version miniature d'un détail de la case correspondante. Trop petit et découpé pour vous en dévoiler trop, mais assez précis pour vous confirmer que vous n'interprétez pas de travers le texte en vous attribuant un exploit que vous n'avez pas réellement accompli en confondant les situations.

Je n'ai personnellement pas été convaincu par le système Force/Dextérité/Volonté, que j'ai trouvé un peu superfétatoire, c'est-à-dire que l'aventure n'aurait pas été moins bien si elle s'en était passé. De même, la gestion du Temps est un peu une déception, avec un impact relativement modéré.

Il y a aussi présence d'un système de progression assez original. Vous pouvez apprendre au cours de vos pérégrinations l'existence de certains éléments secrets, avec une information (textuelle) assez précise sur l'endroit où les chercher. À l'endroit en question, il vous faudra plisser les yeux et vous acharner pour découvrir qu'il y a effectivement un tout petit numéro quasiment de la même couleur que le fond et à moitié fondu dans la bordure qui vous attend. Numéro que vous n'auriez probablement jamais découvert autrement.

Système que je trouve très intéressant, bien qu'encore perfectible. En effet, plusieurs témoignages semblent indiquer qu'une proportion non négligeable de lecteurs n'ont ainsi jamais découvert l'autre moyen de battre le boss final. Et je dois avouer que j'en ai personnellement bavé sur celui-là.

Mais dans l'idée, c'est vraiment pas mal trouvé. À suivre donc.

Au rang des détails, il y a également ce petit problème que le protagoniste regarde toujours dans la même direction quelle que soit la porte par laquelle il est entré dans une pièce, tout simplement car il s'agit toujours de la même case. Cela peut désorienter au début, mais c'est cependant difficilement résoluble, et celui qui trouvera une idée pour corriger cela, sans passer à la vue à la première personne, qui soit à la fois élégante et simple à mettre en place méritera des applaudissements.

Les rouages du métier

Il existe un point assez technique, mais qui m'impressionne suffisamment pour que je le cite, et que je vais essayer d'expliquer maintenant. C'est au niveau de la construction.

Comme je l'ai dit  plus haut, la taille des sections varie, allant d'un quart de page à plusieurs pages complètes, selon le besoin de la scène qui s'y déroule. Ces variations sont très nombreuses, et en feuilletant simplement je suis bien en peine dire si la demi-page ou le quart de page qui est le plus représenté (il y a même un trois-quarts de page qui traîne).

À côté de cela, il y a les obligations traditionnelles du livre-jeu :

  • Ne pas mettre deux sections qui se suivent chronologiquement en vis-à-vis pour garder le maximum de mystères sur les conséquences de chaque choix
  • Disposer les sections de façon à diminuer tant que possible les possibilités d'un spoil involontaire, c'est-à-dire que le regard accroche par accident un passage important futur

Dans un format numérique total, ce n'est pas un problème.

Dans un format bâtard comme le PDF, c'est déjà un peu plus technique, mais encore assez simple. Par exemple, « il suffit de » réserver une plage précise de paragraphes à des sections difficiles d'accès (passages non obligatoires auxquelles peu de routes mènent), et de mettre au milieu votre retournement de situation que le lecteur ne doit surtout pas voir en avance. Et même si son regard louche un peu, il reste encore probable qu'il rate le point crucial au milieu de la plâtrée de texte.

En pur papier, cela se fait encore correctement, malgré quelques changements mineurs pour rentrer proprement dans le format.

Mais dans de la bande dessinée, donc de l'image, donc quelque chose de spécifiquement construit pour donner une impression immédiate au premier coup d'œil... Avec des sections de tailles variées... Vous commencez à le voir le casse-tête absolu de mise en page ?

C'est un bel arrachage de cheveux, et, pourtant, en-dehors du magazine (qui n'est pas vraiment l'élément le plus important de l'histoire et que je soupçonne d'avoir été placé justement pour attirer l'œil), je n'ai pas le souvenir que mon regard ait accroché en profondeur quoi que ce soit qu'il n'aurait pas dû voir. Chapeau donc.

Tout est un

Si je devais résumer Captive en un mot, ce serait cohérence. Le manoir est logique dans son architecture, dans les événements qui s'y sont déroulés, les indices pour reconstruire le fil de l'histoire, sa propre mystique, son ambiance sombre et oppressante. Passée la suspension d'incrédulité de l'introduction avec son flic Rambo, il n'y a pas un seul moment où l'on se dit que cette pièce n'est pas au bon endroit, que cette pièce du puzzle ne s'emboîte pas avec les autres, que cette scène jure avec l'atmosphère générale, que l'image et le texte se contredisent. Tout a été conçu pour être un tout robuste, une œuvre complète quasiment sans faille.

Bref, privez-vous de McDo deux fois affilé pour économiser la vingtaine d'euros nécessaire pour l'acheter et ruez-vous dessus.

Sources :

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